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Dossiers Spéciaux - Europe - Monde - 8 mai 2025

En attendant la fumée blanche : chronique d’un Vatican en suspens

Sous le ciel romain, l’attente d’un signe ancestral

Place Saint-Pierre, Rome. Une foule hétéroclite s’est rassemblée, les yeux rivés vers un discret tuyau de métal qui émerge du toit de la chapelle Sixtine. Des touristes munis d’appareils photo côtoient des fidèles en prière, des journalistes du monde entier et des Romains venus assister à ce moment d’histoire. Tous guettent un signal aussi éphémère que décisif : une fumée blanche s’élève dans le ciel, annonçant au monde qu’un nouveau pape a été élu.

« C’est ma troisième journée d’attente », confie Maria Bianchi, une Italienne de 67 ans salle de Florence. « J’étais déjà là en 2013 pour l’élection du pape François. Cette fois, je ne veux pas manquer ce moment, même s’il faut attendre plusieurs jours. »

Le conclave, une tradition séculaire

Depuis la mort du pape François le mois dernier, l’Église catholique est entrée dans cette période singulière appelée « Sede Vacante » (siège vacant). Après les neuf jours de deuil rituels et les funérailles solennelles, 125 cardinaux de moins de 80 ans, vénus des cinq continents, se sont enfermés dans la chapelle Sixtine pour élire celui qui deviendra le 267ᵉ successeur de Saint Pierre.

Le conclave, du latin cum clave (« avec une clé », parce que les cardinaux sont enfermés à clé), obéit à des règles établies au fil des siècles. Dans le plus grand secret, les cardinaux votent jusqu’à quatre fois par jour. Pour être élu, un candidat doit recueillir les deux niveaux des voix. Après chaque séance de vote, les bulletins sont brûlés dans un poêle spécial.

« La symbolique de la fumée remonte au XIXe siècle », explique le père Thomas Rosica, vaticaniste. « Si aucun cardinal n’a obtenu la majorité requise, de la paille humide est ajoutée aux bulletins, produisant une fumée noire. Si un pape est élu, seuls les bulletins sont brûlés, donnant une fumée blanche. Aujourd’hui, des produits chimiques sont ajoutés pour renforcer la couleur et éviter toute ambiguïté. »

Une attente médiatisée à l’ère numérique

Si le rituel reste inchangé depuis des siècles, son environnement a considérablement évolué. Autour de la place Saint-Pierre, des centaines de caméras sont braquées en permanence sur la cheminée. Des chaînes d’information du monde entier diffusent en continu. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #FuméeBlanche est devenu viral, tandis que des applications dédiées promettent d’alerter instantanément leurs utilisateurs dès l’apparition du signal tant attendu.

« Il y a quelque chose de fascinant dans ce contraste entre une tradition millénaire et notre monde hyperconnecté », observe Paolo Rodari, journaliste spécialiste du Vatican. « D’un côté, un processus préférentiellement archaïque, secret, presque mystique ; de l’autre, une instantanée médiatique mondiale. »

Spéculations et pronostics

En attendant la fumée blanche, Rome bruisse de spéculations. Dans les trattorias proches du Vatican comme dans les rédactions internationales, les noms circulent, les profils sont analysés, les tendances disséquées. Certains évoquent la possibilité d’un pape africain ou asiatique, reflétant l’évolution démographique du catholicisme mondial. D’autres parient sur un Latino-Américain pour succéder à François, premier pape sud-américain de l’histoire.

« Les conclaves sont toujours imprévisibles », tempère Marco Politi, biographe de plusieurs papiers. « Comme le dit un vieil adage romain : ‘Qui entre pape au conclave en sorte cardinal’. Les favoris sont rarement élus. »

Parmi les papabili (candidats potentiels) fréquemment cités figurent le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, l’Américain Seán Patrick O’Malley, le Ghanéen Peter Turkson ou encore l’Italien Matteo Zuppi. Mais le secret du conclave est si bien gardé que ces spéculations restent de simples hypothèses.

Un moment suspendu

Sur la place Saint-Pierre, l’attente se prolonge. Certains fidèles prient en silence, d’autres chantent. Des familles entières pique-niquent sur les pavés. Des écrans géants retransmettent des images de la cheminée, scrutées comme jamais.

« C’est un moment unique, presque hors du temps », raconte John Peterson, un Américain venu spécialement à Boston. « Dans notre époque où tout va si vite, attendre collectivement quelque chose qui ne peut être ni programmé ni accéléré à quelque chose de profondément spirituel. »

Lorsque la fumée blanche apparaîtra enfin, suivie environ une heure plus tard par la célèbre annonce « Habemus Papam » (« Nous avons un pape »), une nouvelle page de l’histoire bimillénaire de l’Église catholique s’ouvrira. En attendant, Rome et le monde catholique restent en suspens, les yeux tournés vers cette simple cheminée qui, pendant quelques jours, devient le centre d’attention de millions de regards.

« Dans cette attente, il y a toute la beauté du catholicisme », conclut Sœur Emmanuelle, religieuse française présente sur la place. « L’alliance du mystère et de la tradition, l’universalité et l’intemporalité. Et au final, la simplicité d’un signal de fumée pour annoncer une décision qui influencera l’avenir d’une Église mondiale. »

Une simplicité qui, paradoxalement, dans notre monde saturé d’informations instantanées, prend une dimension presque révolutionnaire.

Par la Rédaction

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