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Non classé - 11 mai 2025

Les contradictions de la politique africaine de la France

La politique africaine de la France se caractérise par un ensemble de contradictions qui perdurent malgré les alternances politiques et les discours de rupture. Ces paradoxes, enracinés dans l’histoire post-coloniale, continuent de miner l’influence française sur le continent, créant un décalage croissant entre les ambitions affichées et les réalités du terrain.

Un discours de rupture, une continuité des pratiques

Depuis Jacques Chirac, chaque président français a solennellement proclamé la « fin de la Françafrique » et promis une relation rénovée, égalitaire et transparente avec les pays africains. Emmanuel Macron avait même fait de cette rupture un marqueur de sa présidence en 2017, dénonçant devant les étudiants burkinabés à Ouagadougou les « crimes de la colonisation » et appelant à « tourner la page ».

Pourtant, les mécanismes fondamentaux du système français en Afrique sont restés largement inchangés : présence militaire permanente, soutien à des régimes autoritaires « amis », défense d’intérêts économiques établis, notamment dans les secteurs extractifs et les infrastructures. Cette contradiction entre discours novateurs et pratiques traditionnelles a considérablement érodé la crédibilité française auprès des opinions publiques africaines, particulièrement des jeunes générations.

Démocratie proclamée, autoritarisme toléré

La France se présente volontiers comme un champion des valeurs démocratiques et des droits humains. Sa diplomatie met régulièrement en avant ces principes dans les enceintes internationales. Cependant, la politique africaine révèle une application sélective de ces valeurs, conditionnées par des considérations géostratégiques et économiques.

Le soutien durable aux régimes autoritaires comme ceux du Tchad ou de Djibouti, les relations privilégiées avec des dirigeants aux pratiques contestables, et l’indulgence envers certains coups d’État (Tchad 2021) contrastent avec les condamnations fermes d’autres ruptures constitutionnelles (Mali 2020-2021, Burkina Faso 2022, Niger 2023). Cette géométrie variable dans l’application des principes démocratiques alimente la perception d’une puissance occidentale hypocrite, instrumentalisant les valeurs qu’elle prétend défendre.

Entre multilatéralisme affiché et unilatéralisme pratiqué

La France promet actuellement une approche multilatérale des crises africaines, valorisant le rôle des organisations régionales comme l’Union Africaine ou la CEDEAO. Elle a également inscrit ses interventions dans le cadre de mandats onusiens ou en coordination avec l’Union Européenne.

Dans la pratique, cependant, les décisions d’intervention ou de retrait sont souvent prises unilatéralement à Paris, en fonction d’intérêts nationaux spécifiques. Cette tendance à l’action unilatérale déguisée en multilatéralisme a été particulièrement visible lors des opérations Serval au Mali (2013) et Sangaris en République centrafricaine (2013-2016), où le cadre multinational est venu légitimer a posteriori des initiatives essentiellement françaises.

Aide au développement : générosité affichée, conditionnalité stricte

La France se présente comme un bailleur de fonds majeur pour le développement africain. Elle a progressivement augmenté son aide publique au développement pour se rapprocher de l’objectif de 0,7% du revenu national brut fixé par les Nations Unies. Cependant, cette aide demeure largement conditionnée à des intérêts économiques et migratoires français.

L’introduction progressive de la « conditionnalité migratoire » dans les politiques d’aide illustre cette contradiction : les pays qui coopèrent en matière de gestion des flux migratoires et de réadmission de leurs ressortissants sont récompensés par une aide accumulée, tandis que les autres voient leurs financements diminuer. Cette instrumentalisation de l’aide au développement au service de la politique migratoire française contredit l’esprit même du partenariat équitable revendiqué dans les discours officiels.

La monnaie : souveraineté proclamée, dépendance employée

La réforme du franc CFA, rebaptisée « ECO » pour les pays d’Afrique de l’Ouest en 2020, a été présentée comme une avancée historique vers la souveraineté monétaire des pays africains. Pourtant, l’analyse des mécanismes sous-jacents révèle la persistance d’une tutelle française : maintien du taux de change fixe avec l’euro, présence française dans les instances de gouvernance monétaire, et garantie du Trésor français toujours conditionnée au dépôt d’une partie des réserves de change.

Cette réforme cosmétique, destinée à désamorcer les critiques croissantes contre le franc CFA, illustre parfaitement la difficulté française à renoncer réellement à ses leviers d’influence traditionnels tout en affichant un discours d’émancipation. Ce décalage entre symboles et réalités nourrit un sentiment d’infantilisation chez de nombreux Africains, particulièrement sensible sur les questions économiques.

Présence militaire : protection affichée, intérêts stratégiques défendus

Les interventions militaires françaises en Afrique sont systématiquement justifiées par des motifs altruistes : lutte contre le terrorisme, protection des civils, stabilisation. L’opération Barkhane au Sahel (2014-2022) a ainsi été présentée comme une contribution essentielle à la sécurité régionale et internationale.

Pourtant, ces déploiements servent également – ​​et parfois principalement – ​​à sécuriser les intérêts stratégiques français : accès aux ressources énergétiques (uranium au Niger), maintien de l’influence géopolitique face aux puissances concurrentes (Russie, Chine), contrôle des routes migratoires. Cette ambivalence des motivations, perçue par les populations locales, a progressivement transformé la présence militaire française de solution en problème, comme l’a démontré l’expulsion des forces françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

La concurrence géopolitique : adaptation tardive, réponse inadéquate

Face à la montée en puissance de nouveaux acteurs en Afrique (Chine, Russie, Turquie, pays du Golfe), la France a longtemps maintenu une posture de « prééminence naturelle » héritée de son passé colonial. Cette attitude, perçue comme arrogante, a facilité la pénétration d’acteurs alternatifs proposant des partenariats présentés comme plus respectueux et moins conditionnels.

La réaction française à cette concurrence s’accumule s’est souvent limitée à dénoncer les pratiques de ces nouveaux acteurs (prédation économique chinoise, désinformation russe) plutôt qu’à remettre en question son propre modèle d’influence. Cette incapacité à se réinventer face à un environnement géopolitique transformé explique largement le recul de l’influence française sur le continent.

Conclusion : vers une refondation nécessaire

Les contradictions de la politique africaine de la France ne sont pas de simples incohérences tactiques, mais le symptôme d’une impossibilité structurelle à concilier l’héritage post-colonial et l’ambition de partenariat renouvelé. Tant que la France n’acceptera pas de renoncer réellement à certains leviers d’influence traditionnels pour construire une relation véritablement équilibrée, sa politique africaine continue d’osciller entre déclarations progressistes et pratiques conservatrices.

Une refondation authentique supposerait d’abandonner la prétention française à un statut « spécial » en Afrique pour accepter d’être un partenaire parmi d’autres, certes doté d’atouts historiques et culturels, mais sans privilèges automatiques ni zones d’influence réservées. Ce n’est qu’à ce prix qui pourrait se construire une relation franco-africaine débarrassée de ses contradictions fondamentales et adaptée aux réalités du 21ème siècle.

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